PORTRAIT

L’activiste créole Tiffany Guillory Thomas partage avec nous son regard sur des questions d’identité, langue, représentation culturelle, et … le gombo !

La Louisiane Autrement (LLA) : Tiffany Guillory Thomas, militante des langues culturelles et patrimoniales et promotrice de la culture créole dynamique en Louisiane, pouvez-vous nous dire un peu votre histoire de famille, vos racines, votre monde ?

Comme mon deuxième prénom l’indique, du côté de mon père, je suis un descendant de la famille Guillory, une grande famille créole ayant des racines dans la paroisse de Saint Landry. Les Guillory de couleur, dont je fais partie, ont un héritage africain et européen et partagent des liens familiaux avec de nombreuses autres familles créoles là-bas. Mes grands-parents parlaient aussi bien le français que l’anglais, mais les générations plus âgées parlaient peu l’anglais. Mon arrière-grand-mère maternelle était de la famille Pete de Carencro, mais elle avait déménagé à Houston, la ville dans laquelle je suis née. J’ai ensuite grandi au Lac Charles.

LLA : Qu’est-que-cela veut dire pour vous d’être Créole ?

Pour moi, être créole, notamment créole de Louisiane, signifie avoir des racines dans la colonie louisianaise, être un descendant des peuples et des cultures qui ont créé quelque chose de spécial dans ce qui allait devenir les États-Unis. Je me sens comme un enfant de cette histoire, de ses influences culturelles, de ses traditions et de ses traumatismes. Je me sens connectée aux autres créoles du monde, et en même temps, j’ai une place dans  l’expérience noire ici aux États-Unis. Être créole est une source d’espoir que je porte en moi qui me dit que la beauté peut advenir malgré les épreuves les plus profondes et les plus sombres.

LLA : Quel rôle joue la langue créole louisianaise dans l’identité et est-ce nécessaire de parler cette langue pour pouvoir s’afficher comme Créole?

La langue créole de Louisiane joue un rôle important dans l’identité créole; elle peut indiquer à quelle communauté appartient un individu, mais elle n’est pas parlée uniquement par les Louisianais d’ascendance africaine, comme beaucoup pourraient le croire. Elle porte en elle une telle richesse culturelle !  Elle devrait être élevée au rang de langue à part entière car elle est unique en Louisiane, mais elle est en danger de disparition.  Tout au long des premières années d’efforts de sa revitalisation, cette langue n’a pas reçu l’attention et la validation qu’elle mérite. Il n’est pas nécessaire de parler le créole louisianais pour être considéré comme un créole, car il y en a qui parlent français, mais j’encourage l’apprentissage de cette langue pour comprendre les liens profonds à la fois au sein de notre culture et avec le monde créole.

LLA : Vous avez décrit la créolité comme une culture “collective”.  Dans cette collectivité, existe-t-il un esprit de coopération nécessaire pour produire des effets “plus grands que la somme des parties” ? 

Il y a toujours place à l’amélioration en ce qui concerne la représentation alors que nous nous dirigeons vers le véritable esprit de coopération nécessaire pour faire progresser la culture de la Louisiane et ses langues. Cela commence par reconnaître les contributions de chacun des groupes, ces parties du tout, qui ont formé la culture que nous connaissons et aimons : les Autochtones, les Français, les Africains, les Acadiens, les Espagnols, les Allemands et les Philippins. C’est reconnaître que la nôtre, comme d’autres cultures créoles, s’est développée pendant l’esclavage et s’est imprégnée de la suprématie blanche, ce qui a causé des souffrances et des douleurs encore présentes aujourd’hui. Pourtant, je pense que nous avons actuellement parmi nous les personnes qui sont essentielles à la progression du respect mutuel et à la mise d’œuvre d’une véritable représentation. Le défi sera de rester unis à chaque avancée.

LLA : Y a-t-il des stratégies institutionnelles (ou autre) pour mobiliser au mieux les ressources en Louisiane en faveur d’une pertinence réelle par rapport à la créolité louisianaise au sein de la francophonie et la créolophonie globale – surtout en termes de développement économique telle que ciblé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ?

Il est important que la Louisiane, désormais membre de l’OIF, accroisse de façon exponentielle ses efforts de développement économique. Il y a eu la possibilité de l’enseignement en Louisiane depuis des décennies maintenant, mais nous avons vraiment besoin de tout le monde sur le pont dans le secteur public – c’est-à-dire le financement – ainsi que le secteur privé. La tenue du Forum Économique plus tôt cette année et de voir de nouvelles collaborations dans le cinéma et le tourisme sont des perspectives et des actions encourageantes. Je me demande comment la Louisiane peut travailler avec la Caraïbe, étant proche géographiquement, et avec l’Afrique, étant donné que l’avenir de la Francophonie sera là ?

LLA :Vous êtes activiste au sein de plusieurs organismes dédiés à l’avancement de la communauté créole en Louisiane.  Qu’espérez-vous accomplir en tant que leader au sein de ces groupes ?

En travaillant avec la Foundation Nous, fondée à la Nouvelle-Orléans, et avec Louisiana C.R.E.O.L.E., Inc., fondée dans le sud-ouest de la Louisiane, mon objectif est d’aider à amplifier les voix créoles, de célébrer l’histoire des créoles de couleur dans les deux régions et de promouvoir l’apprentissage des langues patrimoniales en mettant l’accent sur le créole louisianais. Je veux construire l’unité entre les régions et entre la jeunesse si pleine de dynamisme et les anciens solides comme des rocs. A travers ces organisations, je veux construire des ponts entre tous les peuples créoles de la Louisiane, la côte du Golfe du Mexique des États-Unis et du reste du monde créole.

LLA : Nous savons qu’en matière de cuisine louisianaise, les positions des uns et des autres sont claires quant aux tendances et prédilections culinaires (Cadien versus Créole, etc.).  Quelle est votre position sur cette question délicate mais si importante : Tomates dans le gombo ou non ?

Je ne suis pas experte dans ce domaine, mais il semble qu’on considère comme créole la cuisine de la Nouvelle-Orléans – la Ville – et que les plats préparés à la campagne seraient ‘cadiens.  Je trouve cette sorte de définition simpliste pour une culture aussi complexe. Partout dans le sud et le sud-ouest de la Louisiane, les gens cuisinent beaucoup de plats semblables.  Il faut donc se demander d’où proviennent les recettes, les façons de les préparer et avec quels ingrédients.  Je l’appellerais une cuisine créole, selon la définition du créole, mais adaptée par différents groupes de gens en fonction de la localité et des ingrédients sur place.  En ce qui concerne les tomates dans le gombo, elles étaient historiquement une option, donc je les utilise de temps en temps.

Propos recueillis et traduits par Charles Larroque pour La Louisiane Autrement